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Jeanne d’Arc au cinéma

A l'occasion, cette année, du centenaire de la canonisation de Jeanne d'Arc, coup de projecteur sur les films qui lui ont été consacrés.

Jeanne d’Arc est l’héroïne historique qui a le plus inspiré les cinéastes. Chacune de leurs productions jusqu’à aujourd’hui montre différents aspects de Jeanne d’Arc selon que le film s’intéresse à sa personne, à son procès, à son histoire, etc. Comment est incarnée Jeanne à l’écran ? Comment les films rendent-ils compte de son désir du ciel, de son engagement dans la cité des hommes, de sa résistance aux puissants du monde ? Comment a évolué cette représentation et pourquoi ? Le choix des actrices, leur type de jeu, leur corps et leur visage, au-delà des scénarios, éclairent et révèlent Jeanne, figure iconique par excellence.

Représentations et évolutions de Jeanne d’Arc au cinéma

Pour évoquer les visages de Jeanne au cinéma, il importe de se replonger dans l’évolution de ses représentations. On constate ainsi combien la mise en images de son visage, de sa personnalité et de ses vertus évoluent au fil de l’histoire, nous donnant à voir comme en miroir les reflets d’une époque.

GEORGES MÉLIÈS, JEANNE D'ARC, FILM MUET SORTI EN 1900

Si les premières versions de Jeanne d’Arc adoptent une esthétique sulpicienne, en lien avec leur visée catéchétique, destinée à édifier la foi des spectateurs, le film de Georges Méliès (1900) lui, par le truchement des premiers trucages, insiste sur la dimension miraculeuse de la vie de Jeanne - on pourrait parler d’une représentation de la sainte au premier degré, sans réflexion sur sa personnalité. Le caractère exceptionnel de Jeanne est essentiellement dû aux phénomènes magiques dûs aux trucages de Méliès, avec des effets « d’attraction foraine » destinés à amuser les spectateurs plus qu’à les édifier.

cécil B. de Mille, Joan The woman (1916)

Cette dimension fantasmagorique est bien différente de l’approche de Cecil B. DeMille, portée par une vision nationaliste puisque « Joan The Woman » (1916) s’empare de la dimension militaire de la figure de Jeanne pour produire un film militariste propre à galvaniser le moral des troupes. En 1928, la Jeanne de Carl Theodor Dreyer, elle, marque un premier tournant : même si la représentation de Jeanne reste profondément théologique, image de la Passion du Christ, le réalisateur, sur le plan formel, fait le choix d’évoquer uniquement le procès et surtout de se focaliser sur le visage et le regard de Maria Falconetti, filmée en très gros plans.

MARIA FALCONETTI DANS LA PASSION DE JEANNE D'ARC, DE CARL THEODOR DREYER, 1928

Ce film, à mon sens un des plus grands films de tous les temps, offre une représentation moderne et universelle de Jeanne à l’écran. Pour la première fois, Jeanne a un visage : celui de la souffrance et du déchirement émotionnel. On est profondément remué par la force de cette présence, partagée entre l’obscurité du mal et la constante recherche de la lumière. Les plans de ce visage apparaissent clairement comme l’icône du Christ, comme matière qui reflète l’éternel.

Récemment, en 2019, Bruno Dumont dans sa « Jeanne » capte de la même manière, en ayant recours au gros plan, le visage et le regard intenses d’une petite fille pour évoquer une transcendance mais cette fois dénuée de références religieuses et théologiques.

Robert Bresson, en 1963, reprendra comme Dreyer le procès comme cadre scénaristique mais livrera une version plus picturale de Jeanne d’Arc. Comme souvent chez Bresson, les personnages expriment peu d’émotions et le réalisateur filme une Jeanne pure et dure, marquée par l'absence de psychologie et d’émotions trop lisiblement exprimées. Tourné vers la modernité, Bresson fonde un regard neuf sur la figure de Jeanne d’Arc. 

ROBERT BRESSON, PROCÈS DE JEANNE D'ARC, 1963

Avec Bresson, Jeanne sort du livre d’images et du catéchisme pour prendre corps et parler avec des mots modernes. L’imagerie religieuse et l’iconographie chrétienne perdent de leur acuité d’expression pour laisser place à une vision incarnée de Jeanne dans le monde. En 1994, Jacques Rivette va plus loin et, à la suite de Bresson, décape le mythe pour toujours, avec un poids de réel qui donnera à sa Jeanne un visage profondément humain au travers de sa gracieuse actrice Sandrine Bonnaire. Celle-ci fait de Jeanne une femme engagée comme les autres dans les batailles, appartenant à leur monde plus que tournée vers le ciel et soucieuse de l’accomplissement d’une mission divine.

SANDRINE BONNAIRE DANS JEANNE LA PUCELLE DE JACQUES RIVETTE, FILMS DU LOSANGE, 1994

Au fil du temps, Jeanne d’Arc devient de plus en plus incarnée, humaine, proche de nous et de moins en moins une figure religieuse. Le vernis de la religiosité a sauté sans pour autant quitter le terrain d’une quête de sens ou d’une transcendance, du spirituel au sens large du terme, pourrait-on dire aussi. Les Jeanne qui suivront celles de Rivette iront dans ce sens.

MILLA JOVOVICH DANS JEANNE D'ARC DE LUC BESSON, 1999

Celle de Luc Besson prend les traits d’une mannequin au physique androgyne, Milla Jovovich, en 1999. Le réalisateur montre une proximité entre folie et sainteté à travers une Jeanne militaire qui se bat et fait peur aux Anglais, même si l’intimité de sa relation à Dieu n’est pas traitée. Le film développe une imagerie surannée d’une naïveté confondante d’où la dimension spirituelle est absente.

LISE LEPLAT PRUDHOMME DANS LE FILM JEANNE DE BRUNO DUMONT, 2019

Enfin très proche de nous, Bruno Dumont a poursuivi ce travail d’humanisation et d’incarnation de Jeanne à l’écran avec un film profondément original. Sa « Jeanne » s’inscrit cette fois dans l’univers de l’enfance par sa poésie mystique et la grâce de sa très jeune actrice, Lise Leplat Prudhomme. Nous sommes mis en connexion avec un ailleurs, un au-delà de l’image qui touche notre intériorité. Le visage de cette petite fille qui porte en elle le trésor et le nerf de l’enfance est ce qui reste de plus prégnant une fois le film terminé. La question de la foi ou de la religion n’est pas le sujet de Dumont.  Son cinéma est plutôt à la recherche d’un au-delà du réel qui souligne le mystère de notre existence et une transcendance.

La figure de Jeanne au cinéma dans ses évolutions a ainsi été marquée et modelée par l’apport des sciences humaines s’imposant au cours des années comme des sciences, véritable épreuve du feu pour la foi chrétienne, qui ont permis d’approfondir toujours plus la vérité, l’humanité et l’incarnation profonde de Jeanne et de questionner sa figure de sainte.

La Jeanne de Dreyer, visage de toutes les passions humaines

A y regarder de plus près, Bresson et Rivette poursuivent le travail de Dreyer. Ce dernier tourne le dos à l’épopée de manière très précoce et très moderne pour l’époque, en filmant au plus près le visage de Jeanne. Cet extraordinaire chef-d’œuvre reste à ce jour la somme de toutes les Jeanne au cinéma. Un « film-visage », qui dit à travers cette face crispée de souffrance, un au-delà à travers la passion et la condition du souffrant. La Jeanne de Dreyer, ce sont tous ces visages de la souffrance. Le message de la Pucelle au cinéma demeure pour nous aujourd’hui ce gros plan d’un visage qui pleure, hantant et marquant nos esprits depuis les débuts du cinéma, qui révèle sa Passion mais aussi notre condition humaine moderne.

Pierre Vaccaro, pour Narthex (article reproduit avec l'aimable autorisation de l'auteur)

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