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Les enjeux du synode romain
Le Seigneur de l’univers préparera pour tous les peuples, sur sa montagne, un festin de viandes grasses et de vins capiteux, un festin de viandes succulentes et de vins décantés. Sur cette montagne, il fera disparaître le voile de deuil qui enveloppe tous les peuples et le linceul qui couvre toutes les nations. Il fera disparaître la mort pour toujours. Le Seigneur Dieu essuiera les larmes sur tous les visages, et par toute la terre il effacera l’humiliation de son peuple. Le Seigneur a parlé.
Is 25, 6-8
Cette citation du prophète Isaïe est mise en exergue dans « l’instrument de travail » préparatoire à la prochaine étape du synode romain : « Pratiquer la synodalité – qui est une expression de la nature même de l’Église - est une manière pour nous aujourd’hui de renouveler notre engagement dans cette mission. Grandir en tant que disciples missionnaires signifie, avant tout, répondre à l'appel de Jésus à s’engager à sa suite, répondre à ce don que nous avons reçu lorsque nous avons été baptisés au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit ; cela signifie ensuite apprendre à nous accompagner les uns les autres en tant que membres d’un peuple pèlerin traversant l'histoire en chemin vers une destination commune : la cité céleste. » Le texte ajoute : « Il ne s’agit donc pas de se limiter au projet d’améliorations techniques ou procédurales qui rendent les structures de l’Église plus efficaces, mais de travailler sur les formes concrètes de l’engagement missionnaire auquel nous sommes appelés, dans le dynamisme entre unité et diversité propre à une Église synodale. »
Quelques éléments qui fondent notre réflexion
* « L'Église reflète une lumière qui n'est pas la sienne : sa mission ne peut être autoréférentielle, mais consiste à être le sacrement des liens, des relations et de la communion pour l'unité du genre humain. Elle porte cette responsabilité à une époque marquée par la crise de la participation, où le sentiment d'une destinée commune s'estompe au profit d'une vision individualiste du bonheur et du salut. »
* « La foi, qui naît de l'écoute de l'annonce de la Bonne Nouvelle (cf. Rm 10, 17), vit de l'écoute : écoute de la Parole de Dieu, écoute de l'Esprit Saint, écoute réciproque, écoute de la tradition vivante de l'Église et de son Magistère.(...) Synodalité et mission sont donc intimement liées. »
* « À chaque étape du processus s'est manifesté le désir d'élargir les possibilités de participation et d'exercice de la coresponsabilité de tous les baptisés, hommes et femmes, dans la diversité de leurs charismes, de leurs vocations et de leurs ministères. »
* « Une conversion vers une vision relationnelle, de l'interdépendance et de la réciprocité entre femmes et hommes, des sœurs et frères dans le Christ, portant ensemble une mission commune.
Les contributions des conférences épiscopales font ressortir des demandes concrètes à prendre en considération lors de la Deuxième Session, notamment :
(a) la promotion d'espaces de dialogue dans l'Église, afin que les femmes puissent partager leurs expériences, leurs charismes, leurs compétences, leurs connaissances spirituelles, théologiques et pastorales pour le bien de toute l'Église ;
b) une plus grande participation des femmes aux processus de discernement ecclésial et ce à toutes les étapes des processus décisionnels (élaboration et prise de décision) ;
c) un accès élargi aux postes de responsabilité dans les diocèses et les institutions ecclésiastiques, conformément aux règlementations en vigueur;
d) une meilleure reconnaissance et un soutien renforcé à la vie et aux charismes des femmes consacrées, ainsi que leur promotion à des postes de responsabilité ;
e) l'accès des femmes à des postes de responsabilité dans les séminaires, les instituts et les facultés de théologie ;
f) l'accroissement du nombre de femmes juges dans les processus canoniques. »
* « La synodalité défie l'isolement croissant et l'individualisme culturel, parfois absorbés par l'Église même, en appelant au soin mutuel, à l'interdépendance et à la coresponsabilité pour le bien commun. Elle s'oppose également au communautarisme social excessif qui étouffe les personnes. »
Des changements à mettre en œuvre
* « La synodalité missionnaire, enracinée dans l'initiation chrétienne, doit éclairer la manière dont le Peuple de Dieu peut concrètement, dépassant une vision statique et individualiste pour embrasser une approche dynamique liée à la suite du Christ et à la vie dans l'Esprit qui est une force transformatrice. »
* « Le domaine principal, où les charismes que chaque baptisé porte sont appelés à se manifester, n'est pas l'organisation d'activités ou de structures ecclésiales : c'est dans la vie quotidienne, dans les relations familiales et sociales, dans les diverses situations où les chrétiens, individuellement ou collectivement, sont appelés à faire fructifier les dons de la grâce reçue pour le bien de tous. »
* « Il semble donc extrêmement opportun de créer un ministère de l'écoute et de l'accompagnement reconnu et éventuellement institué, qui rende concrètement réalisable une caractéristique si distinctive d'une Église synodale. Il est nécessaire d’avoir une « porte ouverte » dans la communauté, par laquelle les personnes peuvent entrer sans se sentir menacés ou jugés.
* « Le processus synodal a fait émerger des données contrastées concernant l'exercice du ministère ordonné au sein du Peuple de Dieu. On souligne, d'une part, la joie, l'engagement et le dévouement des évêques, des prêtres et des diacres dans l'accomplissement de leur service ; de l’autre, on entend l’expression d’une certaine difficulté, liée principalement à un sentiment d'isolement, de solitude, d’être coupés de relations saines et durables, ainsi que d'être accablés par l'exigence de répondre à tous les besoins. »
* « L'échange de dons ne se limite donc pas aux autres Églises et communautés chrétiennes, car une catholicité authentique élargit l'horizon et demande de la disponibilité dans l’accueil aussi des facteurs de promotion de vie, de paix, de justice et de développement humain intégral présents dans d'autres cultures et traditions religieuses. »
Des chemins de conversion
* « Une Église synodale missionnaire repose fondamentalement sur la capacité à écouter, ce qui implique la reconnaissance que nul n'est autosuffisant dans l'exercice de sa mission et que chacun a une contribution unique à offrir tout en ayant à apprendre des autres. La formation à l'écoute s’impose donc comme un premier pré requis essentiel. »
* « Dans une Église synodale, la formation se doit d’être intégrale. En effet, elle va plus loin que la simple acquisition de connaissances ou compétences, pour cultiver la capacité de rencontre, de partage et de coopération, de discernement en commun. Cette approche intégrale doit donc interpeller toutes les dimensions de la personne : intellectuelle, affective et spirituelle. Loin d’être purement théorique, cette formation doit inclure des expériences concrètes adéquatement accompagnées. Elle doit inclure aussi le souci de la connaissance des cultures au sein desquelles les Églises vivent et agissent, et ceci doit inclure la réalité de la culture numérique, omniprésente aujourd'hui, en particulier chez les jeunes. »
* « Dieu nous parle à travers la méditation personnelle de l'Écriture, dans laquelle résonne ‘quelque chose’ du texte biblique sur lequel on prie. Dieu parle à la communauté dans la liturgie, lieu d’interprétation par excellence de ce que le Seigneur dit à son Église. Dieu parle également à travers son Église, qui est mère et maîtresse, par sa tradition vivante et ses pratiques, y compris celles de la piété populaire. Dieu continue à se manifester aussi à travers les événements qui se déroulent dans l'espace et le temps, à condition que nous sachions en discerner le sens. De plus, Dieu communique avec son peuple à travers les éléments du cosmos, dont l'existence même renvoie à l'action du Créateur car celui-ci est empreint de la présence de l'Esprit Saint « qui donne la vie ». Enfin, Dieu parle dans la conscience personnelle de chaque être humain, ce « centre le plus secret de l’homme, le sanctuaire où il est seul avec Dieu et où sa voix se fait entendre » (GS 16). »
* « Le discernement se fait toujours « les pieds dans la terre », c'est-à-dire qu’il nécessite une connaissance approfondie des complexités et particularités de ce contexte. »
* « De nos jours, la demande de transparence et d’accountability au sein et de la part de l'Église découle de la perte de crédibilité due aux scandales financiers et surtout aux abus sexuels et autres abus perpétrés sur des mineurs et des personnes vulnérables. Le manque de transparence et d’obligation de rendre des comptes alimente le cléricalisme, reposant sur l'hypothèse implicite que les ministres ordonnés ne sont redevables à personne dans l'exercice de l'autorité qui leur est conférée. »
En quel lieux ?
* « L'urbanisation figure parmi les principaux facteurs de ce changement : aujourd'hui, pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, la majorité de la population mondiale vit dans des contextes urbains plutôt que ruraux. Dès lors, l'appartenance territoriale se configure différemment dans un contexte urbain, les frontières entre les zones devenant plus manifestement conventionnelles. »
* « Un second facteur crucial est celui de l'augmentation de la mobilité humaine dans un monde désormais globalisé, motivés par différentes raisons. Les réfugiés et les migrants forment souvent des communautés dynamiques, y compris dans leur pratique religieuse, rendant ainsi le lieu où ils s'installent pluriculturel. En parallèle, ils maintiennent, notamment grâce aux médias numériques, des liens étroits avec leur pays d'origine. Ils font ainsi l’expérience d'une pluri-appartenance géographique, culturelle et linguistique. »
* « Enfin, nous ne pouvons pas ignorer la diffusion de la culture de l'environnement numérique, particulièrement marquée chez les jeunes. Elle exerce une influence profonde sur leur perception de l'espace et du temps, ainsi que sur la manière de vivre toutes leurs activités quotidiennes, les communications et les relations interpersonnelles, et même la foi. »
* « Ces évolutions sociétales et culturelles exigent de l'Église de repenser le sens de sa dimension locale, en vue de mieux servir sa mission. Tout en reconnaissant l’ancrage indéniable de la vie dans des contextes physiques et dans des cultures concrètes, il est impératif de dépasser une interprétation purement spatiale du concept de lieu : les lieux pour la vie de l’Église ne sont pas seulement des espaces, mais aussi des sphères et des réseaux propices au développement des relations, à même d’offrir aux personnes un enracinement et une base pour leur mission, partout où leur vie se déroule. »
* « Le dialogue œcuménique est fondamental pour approfondir notre compréhension de la synodalité et de l'unité de l'Église. Il nous pousse à imaginer des pratiques synodales authentiquement œcuméniques, allant jusqu'à des formes de consultation et de discernement sur des questions d'intérêt commun et urgent. »
Conclusion
« Cet Instrumentum laboris nous interpelle sur notre façon d'être une Église synodale missionnaire, de nous engager dans une écoute et un dialogue profonds, de vivre la coresponsabilité à la lumière du dynamisme de notre vocation baptismale, tant personnelle que communautaire, de transformer les structures et les processus pour permettre à tous de participer et partager les charismes que l'Esprit répand sur chacun pour le bien commun, et à exercer le pouvoir et l'autorité comme un service. Chacun de ces aspects constitue un service rendu à l'Église et, par son action, une opportunité de guérir les blessures les plus profondes de notre temps. »
Extraits choisis par le père Jean-Marie Onfray