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Lettre de Mgr Jordy

A l'occasion de la fête de saint Martin, Mgr Jordy adresse une lettre à tous les baptisés...

Frères et soeurs, chers amis,

En cette première année de présence au milieu de vous, je souhaite vous adresser cette lettre pour évoquer celui qui nous rassemble en ce jour. De saint Martin, nous connaissons tous, au moins, le geste émouvant du partage de son manteau avec un pauvre près d’Amiens. Nous prions saint Martin. Mais mesurons-nous tout ce qu’il peut nous apporter aujourd’hui encore ? Par une lettre, que je souhaiterais vous adresser chaque année en cette fête, je voudrais aborder des aspects de la vie de notre Saint Patron susceptible d’éclairer nos vies de baptisés, de « disciples-missionnaires » aujourd’hui. Saint Martin a vécu à la suite de Jésus. Son témoignage nous parle encore. Mettons-nous à son école.

Saint Martin, comme vous le savez, a vécu plusieurs vies. Il a été soldat avant de devenir moine et enfin évêque de Tours. Cependant une chose n’a pas changé, c’est son désir de suivre le Christ et de vivre de lui. Sa manière de suivre Jésus est profondément marquée par l’ascèse, un mot qui signifie « exercice » ou « entrainement ». Dans la tradition monastique, l’ascèse est l’effort que met en oeuvre le moine pour apprendre à mieux aimer. Toute la vie de Martin est traversée par une manière de vivre exigeante. Comme soldat d’abord, comme moine ensuite en vivant une conversion continuelle. Mais l’originalité de la vie de Martin c’est qu’il a continué à vivre cette exigence forte une fois devenu évêque. Son biographe nous dit qu’il est devenu évêque « sans déserter pour autant sa profession et ses vertus monastiques » (V.M 10). Alors que des hommes et des femmes quittaient le monde pour aller vivre au désert, Martin devenu évêque continuait à quitter le monde par une ascèse continuelle tout en restant au coeur du monde pour transformer ce monde de l’intérieur.

Cette conversion, cette ascèse se fonde sur la parole de Jésus lui-même : « Celui qui veut être mon disciple, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive » (Luc 9,23). Il s’agit de mettre nos pas dans ceux de Jésus et de l’imiter au quotidien. Elle vise à vivre les grandes attitudes de Jésus, faisant la volonté du Père, totalement abandonné et aimant d’un amour vrai et juste. On parlera progressivement dans la vie de l’Église des « conseils évangéliques » de pauvreté, de chasteté et d’obéissance pour caractériser ces attitudes. Les religieux s’engagent à vivre ces conseils de manière stable par des voeux. Mais ces conseils évangéliques concernent en fait tous les baptisés, tous les états de vie. En effet tous les baptisés sont appelés à suivre Jésus, à devenir disciple, « disciple-missionnaire » nous dirait le Pape François. La question est peut-être de comprendre comment les vivre aujourd’hui ? Comment les mettre en oeuvre dans nos vies actuelles avec des accents nouveaux en fonction des nouvelles conditions de vie ?

Avant tout, saint Martin a vécu la pauvreté, une pauvreté radicale. La pauvreté, la Bible en atteste, est une question essentielle. Elle peut être matérielle ou spirituelle ; elle peut être subie ou choisie ; elle peut être bonne ou mauvaise. La pauvreté matérielle subie n’est jamais bonne. Elle est souvent le fruit de l’injustice dénoncée par les prophètes et Jésus lui-même (Mt 25, évangile de la solennité du jour). La pauvreté culturelle, intellectuelle et spirituelle est aussi un drame. Mais une forme de pauvreté peut être bonne quand elle est choisie. C’est celle qu’a vécue Martin pour gagner en liberté à la suite de Jésus, pour mettre toute son espérance en Lui. C’est d’ailleurs cette pauvreté qui était une source de sa crédibilité devant les hommes et les puissants.

Nous-mêmes sommes invités à faire des choix pour être plus libres. L’encyclique Laudato Si parle à plusieurs reprises de nos modes de vie. Elle nous invite à faire le choix d’une « sobriété heureuse » (LS 222). Cette attitude consiste à vivre plus simplement, plus modestement pour nous fait gagner en liberté et faciliter le partage. Elle nous libère de la dépendance à une consommation qui peut être tyrannique et étouffer progressivement notre vie intérieure. Le rapport à la pauvreté nous concerne donc tous, d’une manière ou d’une autre. Comment la vivre ?

Saint Martin a vécu la chasteté, comme moine puis comme évêque. Son biographe nous parle de lui comme d’un homme familier avec son entourage mais distant avec les femmes conformément à la tradition monastique dont il dépend. Cependant la chasteté, n’est pas la continence – l’absence de relations sexuelles – mais le fait d’avoir des relations avec autrui qui soient justes et ajustées, sans mettre la main sur l’autre. Elle concerne donc tous les états de vie, même les gens mariés. La chasteté permet des relations libres qui permettent aux autres d’exister, de se développer. Elle met la distance juste, avec respect, dans le rapport aux personnes, mais aussi par rapport aux objets pour garder sa liberté intérieure et avoir un coeur vraiment donné à Jésus.

Aujourd’hui certainement la chasteté concerne la relation aux personnes mais peut s’étendre à nos relations aux objets, particulièrement les objets connectés et les écrans. On peut parler de « chasteté numérique » à vivre. Dans combien d’existences, voire de relations familiales, l’objet connecté est la réalité pour laquelle on a le plus d’attention ? On donne ainsi plus de temps aux écrans qu’à quiconque jusqu’à arriver à des formes de dépendance. Plus grave encore, le numérique, par des mécanismes psychologiques de récompense habilement exploités par des réseaux sociaux, peut conduire à une vraie addiction, une addiction « amorale ». En effet, sur les réseaux sociaux, s’abritant derrière l’anonymat ou des identités masquées, on se livre à la médisance, à la calomnie, à la critique sans vergogne et comme si cela n’altérait pas notre relation à Dieu. Comment vivre cette dimension particulière de la chasteté ?

Saint Martin a vécu l’obéissance. D’abord comme soldat. Mais dès qu’il a voulu suivre le Christ pleinement il a eu immédiatement soin de se choisir un maître en la personne de saint Hilaire. Il savait que l’obéissance serait sa sécurité sur son chemin de disciple. Il savait qu’obéir c’est « prêter l’oreille », entrer dans une écoute profonde, une écoute du coeur qui est une aide essentielle à la suite de Jésus pour grandir car « nul ne peut se conduire lui-même ». Son obéissance était intérieure, à un père spirituel, mais elle était surtout une obéissance à l’Église.

Aujourd’hui, l’obéissance est souvent malade. Nous vivons dans une culture où l’émancipation personnelle est essentielle, et où toute autorité est d’abord perçue comme une oppression et une atteinte à l’épanouissement personnel. Plus encore, en vrais enfants de la modernité, notre obéissance, si elle existe encore, est souvent devenue subjective. Nous obéissons à ce qui nous plait ou à des voix qui viennent conforter nos opinions. Des voix qui ne libèrent pas. Comment entrons-nous dans une obéissance lucide, aimante et libératrice ?

Aujourd’hui, frères et soeurs, nous célébrons la fête de saint Martin. Qu’apprenons-nous de lui aujourd’hui sur le chemin de la sainteté qui est le nôtre ? Qu’apprenons-nous de lui sur notre chemin de disciple-missionnaire ? Qu’apprenons-nous de lui qui nous aide à rencontrer Jésus et à rayonner la joie de l’Évangile ? Qu’apprenons-nous de lui pour servir nos frères, en particulier les plus pauvres et les plus fragiles ?

Qu’il nous revête du manteau de la grâce pour que nous vivions comme lui du Christ. C’est la condition de la fécondité de la mission aujourd’hui.

Qu’en cette fête de saint Martin le Seigneur, par son intercession, vous bénisse tous.

Vincent Jordy, archevêque de Tours

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