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Prison

"La prison : plus grand hôtel de France" : tel est le titre du dernier ouvrage d'Henri Gaumé, aux Editions La Simarre. Un titre volontairement provocateur…

Pourquoi avoir choisi ce titre ?

L'Hôtel de Ville nous est familier, l'hôtel des impôts aussi, l'hôtel de police nous l'est peut-être moins. J'ose espérer que l'immense majorité de nos concitoyens n'a pas fréquenté et ne fréquentera pas cet hôtel atypique que représente la prison, ce mot à double connotation évoquant le quantum de la peine infligée et le lieu de privation de liberté.
Si je veux bien confesser un titre un tantinet provocateur, l'addition des 68 000 prisonniers répartis dans les 192 établissements pénitentiaires de France représente le plus grand hôtel – particulier, il est vrai - de notre pays.

Qui sont les "clients" de cet hôtel ?

Il convient d'abord de distinguer les personnes prévenues (28 %, en attente - parfois très longue - de jugement) des personnes condamnées (72%). Les femmes représentent à peine 4% de la population carcérale, et c'est tant mieux.
Je me garderai d'entrer dans un détail approfondi des crimes et délits commis, des origines ethniques et géographiques, ce qui nourrirait un volume complet (et encore ?) de criminologie et de sociologie.
Dans la pyramide des âges, les couches les plus nombreuses sont les 25/40 ans (46%), suivis d'assez loin et à presque égalité par les 18/25 ans et les 40/60 ans. Le nombre des mineurs augmente, tout comme à l'opposé celui des plus de 60 ans.
En ma qualité de visiteur des prisons, il m'est arrivé d'accompagner des octogénaires, situation inhabituelle !
Pour la prise en charge de la "clientèle", outre bon nombre d'intervenants (unité de santé, travailleurs sociaux, entre autres), je salue le corps des surveillants. Ces hommes et ces femmes, pères et mères de famille pour beaucoup, exercent un métier difficile et passent une partie de leur temps en prison.
Je m'empresse de tordre le cou à cette réflexion maintes fois entendue, qui consiste à proclamer que les maisons d'arrêt n'accueilleraient que des coupables de petits délits débouchant sur de courtes peines. Faux ! Ce type d'établissement reçoit aussi des criminels dangereux, avant leur comparution en cour d'assises, ce qui peut demander plusieurs années, avant un transfert vers un centre de peine soumis au numerus clausus. C'est tout dire.

Vous-même, cela fait des années que vous avez l'occasion de les rencontrer ...

Au rythme d'une demi-journée par semaine, 20 ans durant, j'ai rencontré près de 200 hommes, à la maison d'arrêt de Tours et parfois au centre pénitentiaire de Châteauroux.
Grâce à des relations et concours extérieurs issus de mon parcours d'ancien chef d'entreprise, grâce à la qualité de certains services pénitentiaires, grâce à des magistrats humanistes, j'ai pu concourir à recaser en situation pérenne de travail, à resocialiser une vingtaine d'entre eux. Je ne voudrais pas tomber dans l'immodestie, mais j'éprouve une grande joie de ne pas les voir tomber dans la rechute. Ceux-là ont tourné la page.
De même, je suis intervenu loyalement, sans contrepartie aucune, pour trouver des pistes d'emploi à des conjoints ou enfants de surveillants. Pourquoi aurais-je aidé les uns et pas les autres, de chaque côté des barreaux ?
Quelle joie aussi de pouvoir obtenir une permission de sortir pour plusieurs détenus qui m'ont aidé à pousser ma fille Hélène, polyhandicapée, lors des courses à pied de l'Arc-en-Ciel et les 20 km de Tours. Aucun ne m'a faussé compagnie : autour d'une personne blessée dans son intellect, subsiste encore un code de bonne conduite.

Que vous ont-ils appris sur l'univers carcéral ?

J'ai découvert un monde accueillant ses ouailles à bras... fermés, un monde féroce susceptible de "fabriquer" des fauves, ou, à l'inverse des zombies.
C'est un univers où se côtoient pêle-mêle des simples délinquants primaires, des meurtriers, des escrocs, des braqueurs, des agresseurs sexuels, tous logés sous un même toit, même si des efforts sont entrepris pour tenter de les cloisonner.
La douche est l'endroit de tous les règlements de comptes, là où siège le "tribunal maison" qui sanctionne les "pointeurs" (violeurs).
Obtenir du travail en prison relève du parcours du combattant. Hormis les services maison de nettoyage ou distribution des repas, les donneurs d'ordre extérieurs se font de plus en plus rares.

Et sur la nature humaine ?

Si un être humain est parfois capable des plus grandes vilenies, ses réactions peuvent aussi véhiculer leur lot de richesse de cœur. Témoin ce détenu qui me consola à l'annonce du décès de ma propre mère, lors d'une vacation intra-muros. Témoin cet autre qui, une fois libéré, vint rendre visite avec sa compagne à mon épouse hospitalisée.
A mes yeux, un(e) visiteur(euse) des prisons est une personne de confiance, venue d'abord pour pratiquer l'écoute, ce que je développe longuement dans mon ouvrage et résume brièvement ci-après :

  • Ecouter, c'est d'abord tenter de répondre à un désarroi. C'est aussi créer, dans ce milieu fermé, un espace de liberté à l'autre.
  • Ecouter, ce n'est pas seulement se taire, c'est aussi montrer à l'autre que l'on a saisi et compris l'expression de son ressenti.
  • Ecouter, c'est laisser le temps, du temps, à l'autre.
  • Ecouter, si on y parvient, c'est aussi aider l'autre à s'entendre.
  • Mais je ne saurais oublier les victimes, trop souvent laissées aux oubliettes !

Je le répète inlassablement, la justice, notre justice, n'est pas assez réparatrice, restauratrice de paix, moins encore réconciliatrice.

Pourquoi sont-ils aussi nombreux ?

20 000 en 1974, 68 000 en 2016 : on a plus que triplé le contingent en quatre décennies seulement.

Notre société se conduit souvent mal, au point de jouer dans le camp des "fournisseurs" de l'hôtel carcéral.
Nous vivons dans l'instant présent, réagissons dans l'immédiateté, nous ne prenons plus le temps de prendre de la hauteur. Les réseaux sociaux, parfois utiles, prétendent donner la réponse à tous les questionnements.
A la trappe, la prévention, parent plus que pauvre. La famille, socle de toute vie en société, n'est plus assez le lieu de la conception et du ressourcement, des premiers pas de l'éducation et de l'éveil. A charge ensuite à l'école de prendre le relais de cette même éducation citoyenne et de l'apprentissage du savoir.

Comment éviter leur récidive ?

Quand on sait que 50% des méfaits sont commis par seulement 5% de récidivistes, il y a matière à réfléchir et surtout à déclencher un plan d'action, de type ORSEC.

Parmi les débuts de pistes, à défaut de recettes miracle, j'ose avancer le rapprochement inter-générationnel, les vertus de l'apprentissage (ne vaut-il pas mieux un titulaire de C.A.P., B.E.P. en activité plutôt qu'un titulaire de BAC +++++ inscrit à Pôle Emploi et risquant un désœuvrement pouvant déboucher sur un dérapage ?).
Je suggère aussi le rétablissement d'un service national digne de ce nom, sur des théâtres humanitaires ou caritatifs qui ne coûterait pas plus cher à nos contribuables qu'une journée de prison (100 à 150 €/jour/détenu).

En parallèle des travaux d'intérêt général (T.I.G.) au succès assez limité, je propose l'instauration de travaux d'intérêt privé (T.I.P.) dont je développe l'explication et l'intérêt économique dans mon ouvrage. Par contre, la libération conditionnelle demeure un dispositif capable de freiner la récidive, les statistiques le prouvent.

A l'adresse des nombreux auteurs de dégradations qui se révèlent insolvables, la réparation du mal causé (quand il est réparable, bien sûr) permettrait de réconcilier victime et agresseur, par le biais d'une médiation confiée à une personne réunissant autorité et haute valeur morale.

Et plutôt qu'alourdir en permanence notre arsenal législatif et pénal, expérimentons des dispositifs çà et là : si la tentative échoue, on corrige le tir ou on rengaine, si elle se révèle encourageante, on amplifie. C'est tout aussi simple que de pondre des lois en permanence, qui, faute de financement et de décret d'application, ne voient jamais le jour !

Pour illustrer mon propos, inventons par exemple la journée continue, jusque là impossible en maison d'arrêt, pour qui veut travailler et acquérir un savoir-faire professionnel (autre que le "métier" de... malfaiteur). Un sortant de prison qui repart plus riche de connaissances sera moins tenté par la récidive.

Est-ce pour "changer les choses" que vous avez écrit ce livre ?

Loin de moi cette prétention. Évoquer la prison n'a jamais valorisé un programme électoral. D'autres problèmes des plus criants préoccupent nos concitoyens. Par contre, quand l'immobilisme devient envahissant, faire bouger les lignes apparaît un devoir.
Si innover est l'affaire de tous, c'est aussi la responsabilité de chacun.

Enfin, vous-même, vous devriez bientôt exercer d'autres responsabilités au sein d'une association qui offre un toit et un travail aux personnes qui lui en font la demande. N'est-ce pas, en quelque sorte, la suite logique du "combat" que vous menez depuis des années ?...

Peut-être ...
Après l'ouverture du foyer de vie "Arc-en-Ciel" par un petit groupe de parents militants et bâtisseurs, voici un quart de siècle, après bien d'autres beaux combats menés avec la complicité de mon épouse, voici qu’Emmaüs Touraine, une des plus belles communautés de France, va me voir porter le fer, avec le concours des responsables, compagnons et amis, pour "aider en premier le plus souffrant".
Henry Grouès, alias l'abbé Pierre, ce grand rebelle à l'insolence calculée, nous avait fait l'honneur de préfacer notre premier livre ("les p'tits pieds d'Hélène sont bien mal chaussés") paru en l'an 2000.
J'avais sans doute une dette à l'égard d'Emmaüs.
Alors, puisse le Ciel me prêter vie et santé dans cette belle aventure qui nous attend, autour de beaux projets dont un précédent numéro d'"Eglise en Touraine" s'est fait l'écho !


BV