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Protéger la Création

« Quand vous aurez coupé le dernier arbre, pollué la dernière rivière et pêché le dernier poisson, alors vous vous rendrez compte que l’argent ne se mange pas. » Extrait de la lettre pastorale de Mgr Lafont, évêque de Guyane, et ancien prêtre du diocèse de Tours...

Frères et sœurs, Chers amis, Que la paix soit avec vous.

Je vous salue tous et chacun dans le Christ et je rends grâce à Dieu pour votre présence et votre fidélité à la foi reçue des apôtres, en cette terre de Guyane à laquelle le Seigneur m’a attaché, sans aucun mérite de ma part, depuis presque 14 ans. J’ai eu la chance de la parcourir sans cesse, dans tous les sens, et de rencontrer beaucoup d’entre vous, dans la diversité de vos cultures, de vos engagements et des services que vous rendez à la « grande communauté guyanaise », si riche et colorée. C’est à ce titre que je viens vers vous aujourd’hui partager ce qui tient tant à cœur de l’Eglise, de chacun de vous et de moi-même : le bien-être de tous et le salut de chacun de ceux pour qui le Christ est mort.

La sauvegarde de la création – Laudato Si’[1]

Depuis son élection au siège de Rome, le pape François n’a pas ménagé ses efforts pour attirer l’attention des catholiques et de toutes les personnes de bonne volonté sur la nécessité de tout mettre en œuvre « pour la sauvegarde de la maison commune », c’est-à-dire de la terre.

Dans ce domaine, il a publié, en 2015 la lettre encyclique Laudato Si', d’une extrême importance, saluée partout comme une contribution majeure à la vie de l’humanité. Le journal Eglise en Guyane a publié plusieurs articles à son sujet, pour vous permettre d’en saisir l’importance et vous aider à prendre conscience de ce que chacun peut faire, à son niveau, pour inverser le cours des choses. 

 

Le constat des dangers actuels

Dans son premier chapitre, le pape a attiré notre attention sur les dangers que court notre planète en raison de l’extrême exploitation à laquelle l’humanité l’a soumise : « Cette sœur [la création] crie les dégâts que nous lui causons par l’utilisation irresponsable et par l’abus des biens que Dieu a déposé en elle »[2]. Parmi les abus, le pape note « la pollution, ordure et culture du déchet »[3], le changement climatique « surtout à cause de l’activité humaine »[4], le camouflage des problèmes par beaucoup de « ceux qui détiennent plus de ressources et de pouvoir économique ou politique »[5], la qualité d’eau disponible pour les pauvres[6], la perte de biodiversité[7], la détérioration de la qualité de la vie humaine et dégradation sociale[8], l’inégalité planétaire[9]. Le pape déplore également « la faiblesse des réactions » et « la diversité des opinions »[10].

La nature n’a cessé d’offrir aux hommes l’eau, le vivre et le couvert, les plantes médicinales et tous minéraux et végétaux prêts à l’industrie humaine. Le tout totalement gratuitement. Nous avons transformé tout cela en économie financiarisée. Là où la gratuité manque, la fraternité se perd.

La racine humaine de la crise

Le chapitre 3 analyse la racine humaine de la crise écologique, avec une technologie dans les mains de l’homme qui ne fait pas « bon usage de son pouvoir »[11], la globalisation d’un paradigme technocratique qui pense que tout sera résolu par une croissance illimitée (alors que les ressources, elles, sont limitées !), et la démesure avec laquelle l’homme s’est mis au-dessus de tout, en « seigneur », là où il vaudrait mieux qu’il se reconnaisse comme un « administrateur responsable »[12].

En réponse à la crise, François affirme que l’écologie doit être « intégrale »[13], c’est-à-dire à la fois environnementale, économique et sociale, « car tout est intimement lié »[14]. Elle doit être « culturelle »[15], vécue dans la « vie quotidienne » et donc par tout un chacun[16], s’appuyer sur le « principe du bien commun », c’est-à-dire le « bien de nous tous »[17] avec une vraie justice entre générations[18]. Enfin, elle ne peut être que spirituelle, puisque l’homme n’est pas que chair, il est esprit, reflet de l’Esprit divin que lui partage le Créateur[19].

La foi dans la capacité humaine, malgré tout

Le pape n’est pas défaitiste. Il affirme que : « l’humanité possède encore la capacité de collaborer pour construire notre maison commune »[20]. Pour cela « beaucoup de choses doivent être réorientées, mais avant tout, l’humanité a besoin de changer. La conscience d’une origine commune, d’une appartenance mutuelle et d’un avenir partagé par tous est nécessaire »[21]. Cela conduira à « miser sur un autre style de vie »[22] en rejetant le « consumérisme excessif »[23], en éduquant pour « l’alliance entre l’humanité et l’environnement »[24], pour enfin réaliser l’indispensable « conversion écologique »[25].

(...)

La montagne d’or

Face aux défis d’aujourd’hui nous avons besoin, au nom même de l’Evangile et dans une collaboration sans frontières avec tous, de créer une Guyane à visage amazonien – qui établit son avenir non plus sans, mais avec la sagesse amérindienne – gardienne de la forêt – et qui tourne le dos à ce qui détruit la forêt et les peuples qui y vivent. Comme l’a demandé le pape François dans sa rencontre avec les communautés amazoniennes à Puerto Maldonado : « Nous qui n’habitons pas ces terres, nous avons besoin de votre sagesse et de votre connaissance pour pouvoir pénétrer, sans le détruire, le trésor que renferme cette région. Et les paroles du Seigneur à Moïse résonnent : ‘Retire les sandales de tes pieds, car le lieu où tu te tiens est une terre sainte’ (Ex 3, 5) »

S’il y a de l’argent à dépenser, c’est sans doute d’abord pour reprendre possession de notre territoire – nous sommes la risée du monde avec cet orpaillage clandestin qui dépouille tranquillement une région qui appartient, théoriquement, à l’une des premières puissances mondiales – plutôt que de le proposer encore à des multinationales qui ne viennent pas pour nous faire du  bien, quoi qu’elles en disent, mais pour tirer profit de notre sol pour elles et pour leurs actionnaires. Et quand nous aurons dit oui à l’une, qu’est ce qui nous empêchera de dire oui à d’autres ?

On nous dit que cela va créer des emplois. Sans doute quelques-uns, mais à quel prix ! Le prix d’une opposition de plus en plus farouche entre les rares bénéficiaires d’une telle entreprise, et la majorité des guyanais, dans l’attente d’un légitime développement équitable !  Le prix de responsables, obnubilés par un seul projet, au détriment d’un rôle de nécessaire garant de l’intérêt général !

Et puis, le développement durable n’est pas là. Il est dans la pêche, dans l’agriculture, dans le bois et sa transformation, dans un tourisme à visage humain, dans la construction. Il est sans doute aussi dans l’exploitation durable des richesses du sol, et donc peut-être de l’or, mais dans une dynamique qui soit le fruit d’un plan élaboré ici, avec tout le monde. Autrefois, la Guyane était autosuffisante mais ce n’est plus le cas. N’est-ce pas à cela qu’il faut d’abord s’employer ? Nous risquons, pour un plat de lentilles, de laisser notre meilleure jeunesse continuer à quitter notre territoire pendant que d’autres continuent de nous piller… Chaque fois que j’ai écouté les jeunes parler de ce projet, j’ai trouvé une profonde réticence, pour ne pas dire un refus tout net. J’ai entendu les Amérindiens de notre territoire. Écoutons la sagesse des peuples de la forêt : « Quand vous aurez coupé le dernier arbre, pollué la dernière rivière et pêché le dernier poisson, alors vous vous rendrez compte que l’argent ne se mange pas ».

Mgr Emmanuel Lafont, évêque de Cayenne, le 28 mai 2018

Cliquez ici pour lire l'intégralité de sa lettre pastorale

A noter :

L'université d'été du diocèse de Tours, début juillet, traitera cette année de la Création.

Renseignements et inscriptions : bibliodioc@catholique37.fr